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«Black Coal», une fleur vénéneuse née du séisme chinois

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Black Coal de Diao Yinan, avec Liao Fan, Gwen Lun-mei | Durée: 1h46 | Sortie le 11 juin

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Il arrive souvent qu’on ait au cinéma un sentiment de «déjà-vu». Cette impression peut être pénible (répétition, manque d’originalité) ou au contraire plaisante (retrouvailles heureuses, variation stimulante).

Il est beaucoup plus rare d’avoir un sentiment de «déjà-vu» deux fois. C’est, et pour le meilleur, ce qui advient avec Black Coal, troisième long métrage du réalisateur chinois Diao Yinan, qui a bien mérité son Ours d’or au Festival de Berlin 2014.

Black Coal se déploie comme une fleur vénéneuse au confluent de deux grands courants: la tradition du grand film noir américain, celui des années 1930-1950, et le cinéma chinois réaliste contemporain. Une telle convergence n’est pas illogique: la Chine vit aujourd’hui un bouleversement social, urbain et moral comparable, quoiqu’encore plus brutal et massif, à celui que les États-Unis ont expérimenté durant la première moitié du XXe siècle. Et c’était bien l’écho de ce séisme qu’inscrivaient sur la pellicule Howard Hawks, Joseph Sternberg, Raoul Walsh, John Huston, Fritz Lang, Otto Preminger et toute la bande.

Chorégraphie tendue, violente et sexuelle, hantée de toutes les angoisses de la société, Black Coal se construit autour d’une enquête policière qui est moins la recherche d’un coupable ou d’une explication que l’occasion d’une plongée dans un inconscient collectif en forme de champ de bataille. Ces morceaux de cadavre qu’on retrouve dispersés au quatre coins de la région ne sont pas seulement les restes d’un meurtre qui en appellera d’autres, selon une succession de «logiques» plus pulsionnelles que rationnelles. Ils sont la matérialisation d’un pays aux valeurs en miettes, aux repères explosés, un pays peuplé de nouveaux riches sans foi ni loi, d’ouvriers apeurés, de flics dépassés ou corrompus, un pays où la brutalité des mœurs engendrée par le séisme sociétal devient le mouvement fondateur des comportements de chacun.

Repéré dès son premier film (Uniform, 2003) non seulement pour son talent, mais pour sa capacité à associer plusieurs angles d’approches (à l’époque: réalisme social plus comédie), Diao Yinan avait confirmé tous les espoirs avec Train de nuit (2007), qui sans rien céder sur l’acuité de l’observation, lorgnait plutôt vers un fantastique proche de l’abstraction. Il s’inscrit ainsi parmi les meilleurs représentants d’un jeune cinéma chinois qui, par la fiction, le documentaire et souvent l’association des deux, aura accompagné ce qui se produit dans son pays depuis l’écrasement de Tian’anmen et la fulgurante mutation de la Chine en grande puissance capitaliste.

Selon une stratégie qui rappelle celle de Jia Zhang-ke dans A Touch of Sin, film où se renforcent l’énergie de l’observation aigue et critique de la réalité contemporaine et celle d’un film de genre (le film d’arts martiaux), Diao réussit ici la mise à feu l’une par l’autre de la puissance narrative et fantasmatique du film noir et de la vigueur angoissée devant l’écrasement des individus, de leurs sentiments, de leurs espoirs, de leur image d’eux-mêmes.

Une des grandes forces de ce récit mené avec un sens du suspens consommé est en effet, tout en n’édulcorant en rien la violence des relations, de ne jamais aboutir à un partage simpliste. Imposant une figure visuelle inédite, et dont l’artifice est bientôt oublié, celle de la filature en patin à glace, le cinéaste en fait la traduction visuelle et physique de relations effectivement glissantes, dangereuses, d’une fluidité à la fois gracieuse, réversible et possiblement mortelle.

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